Dans un précédent article, Je suggérais de recourir à une réforme fiscale sévère qui devrait aboutir à la création d'une contribution obligatoire de tous les juifs, chacun suivant ses moyens et ce en plein accord avec nos préceptes religieux. Pareille suggestion, qui est pour la première fois rendue publique au Maroc, pourrait paraître osée à certains qui sont dans la croyance que la « Tsedaka », ce mot qui englobe l'aumône, la charité, la bienfaisance et l'assistance sous ses multiples aspects, est un acte spontané et volontaire qu'il leur est loisible d'accomplir comme ils l'entendent ou même de ne pas l'accomplir du tout.
II est de mon devoir de souligner, à l'intention de ceux-là, que la religion juive fait de la Tsedaka une obligation et non une contribution volontaire. Elle nous enseigne que ce mot suppose amour du prochain, amour qui se manifeste par l'intérêt total que nous devons porter dans tous les domaines aux personnes dans le malheur. II ne peut exister de justice humaine sans la pratique de la Tsedaka ; ce met dérive, du reste de « Tsedek » (justice) et est également employé pour dire justice.
par S. H. PINTO Membre du Comité de Casablanca (1950)
L’obligation de la Tsedaka constitue le commandement le plus important, le plus catégorique de notre religion. Elle apparaît en maints endroits, dans la Bible. Relevons ci-après quelques commandements sublimes dont le bon sens n'échappera à personne ;
« Quand ton frère sera devenu pauvre et qu'il te tendra ses mains tremblantes, tu le soutiendras, de même que l'étranger et l'habitant, afin qu'il vive avec toi.
Tu ne prendras point de profit de lui, ni d'intérêt, mais tu craindras ton Dieu et ton frère vivra avec toi. (Lévitique, Chap. XXV, 35/36)
Quand un de tes frères sera pauvre parmi toi, quelle que soit ta demeure, tu n’endurciras point ton cœur et tu ne resserreras point ta main à ton frère qui sera dans la pauvreté. Mais tu ne manqueras pas de lui ouvrir ta main et de lui prêter autant qu'il aura besoin, suivant l'indigence où il se trouvera.
Tu ne manqueras pas de lui donner et ton cœur ne lui donnera point à regret, car l'Eternel ton Dieu te bénira dans toute ton œuvre et dans toutes les choses dans lesquelles tu mettras la main. Car, il y aura toujours des pauvres sur la terre ; c'est pourquoi je te fais ce commandement et je dis d'ouvrir largement ta main à ton frère affligé et pauvre. »
(Deutéronome, Chap. XV, 7/11)
Les Prophètes ont, eux aussi, proclame l’obligation de la Tsedaka, dans un langage imagé et une élévation d'âme admirable. Bornons-nous à citer ces belles paroles d'Isaie, chapitre 58 :
« Partage ton pain avec celui qui a faim. Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile Si tu vois un homme nu, couvre-le. Et ne te détourne pas de ton semblable.
Alors ta lumière poindra comme l'aurore. Et ta guérison germera promptement. Ta charité marchera devant toi et la gloire de l'Eternel t'accompagnera. Alors tu appelleras, l'Eternel te répondra. Tu crieras et il dira « me voici ».
On a le devoir de fournir au nécessiteux ce dont il a besoin ; il nous incombe de le nourrir, de l'habiller etc. en un mot, on a l'obligation de lui procurer tout ce qui peut lui manquer, « Vihi ahikha immakh ».
Si tu donnes ta propre subsistance à celui qui a faim ; si tu rassasies l'âme indigente, ta lumière se lèvera dans l'obscurité. Et tes ténèbres seront comme le midi. L'Eternel sera toujours ton guide. Il rassasiera ton âme dans les lieux arides ».
Au Moyen âge, apparut le génie de Maimonide (Harambam) qui brilla d'un éclat particulier en pleines ténèbres du XIIe siècle. Ses œuvres, traduites en différentes langues, entrèrent dans l'immortalité et bouleversèrent les conceptions philosophiques et théologiques de l'époque, aussi bien dans toute l'Europe, qu'en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
« Yad Ahazaka », une de ces œuvres magistrales, directement écrite en hébreu par Maimonide, constitue la clef de voûte de la jurisprudence rabbinique et a fourni les matériaux essentiels de nos codes « Yoré Déa » et autres. Dans la partie « Matanoth Aniyim », chapitres VII à X, nous relevons cos déclarations du grand Maître :
« Nous avons le devoir d'observer scrupuleusement les prescriptions relatives à l'aumône, la bienfaisance et l'assistance plus que toute autre prescription dictée par les « Missvoth Assé », car la Tsedaka est la vertu qui personnifie l'individu.
C'est un commandement de la Thora que d'être charitable envers les pauvres, dans la mesure des besoins de ceux-ci et des moyens dont on dispose. « Fatoah tiftah eth yadékha... ».
Toute personne qui voit un individu dans le besoin et détourne son regard de lui pour ne pas le secourir enfreint gravement le commandement : « Lo téammess lebabekha..»
Nous avons le devoir de nourrir et d'habiller les pauvres non juifs autant que les pauvres juifs.
On a le devoir de fournir au nécessiteux ce dont il a besoin ; il nous incombe de le nourrir, de l'habiller etc. en un mot, on a l'obligation de lui procurer tout ce qui peut lui manquer, « Vihi ahikha immakh ».
Il est très louable de répartir en Tsedaka une part appréciable de ses revenus ; mais, en règle générale, on a le devoir de distribuer le 10 % de ses revenus, ce qui est considéré comme une moyenne normale. Lorsqu'on réserve pour la Tsedaka moins de 10 %, on est réputé n'avoir pas entièrement accompli son devoir.
Quelle que soit notre situation, nous ne devons jamais nous abstenir de donner suivant nos moyens. Le pauvre lui-même, qui recourt à la charité, doit à son tour verser une obole à son prochain plus malheureux que lui.
Dans toute localité où existe un noyau de Juifs, ceux-ci doivent choisir parmi eux des « Gabbae Tsedaka », notables dignes de confiance, qui se chargeront de recueillir les contributions personnelles de chacun et en assureront régulièrement la distribution parmi les nécessiteux de la ville. Il n'est, en effet, jamais parvenu à notre connaissance qu'il existât une communauté quelconque juive sans une « caisse des pauvres »,
Tout celui qui refuse de participer à la Tsedaka ou qui s'obstine sciemment à donner moins que ce que ses moyens le lui permettent, doit être traduit devant le « Beth-Dine », lequel prendra à son encontre des mesures de rigueur et l'obligera à verser la somme qui lui aura été imposée, (« Mi cheene rossé littene Tsedaka o mi chéittene méath mima ché raouy lo littene, Beth-Dine cofine otho... »).
Celui qui est cruel ou indifférent et ne se penche pas sur le sort d'autrui, crée des doutes sur ses origines ; la Tsedaka est une vertu qui permet d'identifier une personne comme étant descendant du Patriarche Abraham, ainsi qu'il est écrit : « car, je le connais: (Abraham) et je sais qu'il commandera à ses enfants et à sa maison après lui de garder la voie de l'Eternel, pour faire la charité et ce qui est droit, afin que l'Eternel fasse venir sur Abraham tout ce qu'il lui a promis.
Celui qui est cruel ou indifférent et ne se penche pas sur le sort d'autrui, crée des doutes sur ses origines ; la Tsedaka est une vertu qui permet d'identifier une personne comme étant descendant du Patriarche Abraham, ainsi qu'il est écrit : « car, je le connais: (Abraham) et je sais qu'il commandera à ses enfants et à sa maison après lui de garder la voie de l'Eternel, pour faire la charité et ce qui est droit, afin que l'Eternel fasse venir sur Abraham tout ce qu'il lui a promis.
(Genèaaaase, Chap. XVIII, 19) ».
Tout celui qui ferme les yeux à la Tsedaka est appelé « Beliyaal » (méprisable, vil, méchant, cruel). Il est indigne d'être compté parmi les descendants d'Abraham.
Par contre, celui qui s'apitoie sur le sort du malheureux sera comblé dans ses propres vœux. Le donateur et le bénéficiaire doivent se considérer des égaux, des frères : « Banim athm Ladonai Elohekhem ». C'est pourquoi nous avons l'obligation de prêter l'oreille aux supplications des déshérités, car c'est une promesse qui leur a été faite : « Vehaya qui yizank Elai vechamanti qui haucune ani ».
La puissance d’Israël ne pourra être rétablie et la voix de la justice ne pourra se faire entendre que par la charité : « Sion be michpath tippadé, vechabéa bitsdaka ».
Après ces vérités religieuses, le doute n'est plus possible : nous avons tous l’obligation et non la faculté d'apporter notre contribution chacun dans la mesure de ses moyens, à la caisse communale. Et ce, indépendamment de toute autre participation soit à des œuvres locales, soit à des cas particuliers.
Nous avons, d'une part, une masse de plus en plus compacte de malheureux de toutes catégories, dans le dénuement le plus complet, qui réclament journellement aide et assistance aussi bien des Comités de Communautés que des associations philanthropiques. Faute de fonds, une faible proportion seulement reçoit satisfaction, de façon imparfaite d’ailleurs.
D'autre part, on enregistre, dans les différentes couches sociales, un nombre intéressant de personnes qui apportent généreusement leur contribution, n'écoutant que leur cœur, répondant à toutes les sollicitations d'où qu'elles viennent. Parmi ce nombre, on relève une pléiade de bonnes volontés, dont les noms sont répétés avec admiration et reconnaissance par toutes les bouches, qui participent dans la mesure de leurs moyens et ajoutent le sacrifice de leur temps.
Mais il y a aussi, malheureusement, un nombre infiniment plus important de personnes indifférentes, qui semblent, en général, insensibles à la tragédie marocaine. Tout au puis se bernent-elles à distribuer quelques modestes oboles ; elles répondent rarement à l'appel des œuvres locales. Certaines de ces personnes sont mêmes d'une apathie incompréhensible.
Je reconnais la faiblesse et l'impuissance de ma voix devant ce problème angoissant : ma conscience me dicte, cependant, de crier « justice » en faveur des malheureux. J'invoque donc publiquement l'intervention urgente des deux Organismes qui sont à la tête du judaïsme marocain et qui peuvent, eux, prendre en mains la défense des déshérités. J'ai nommé le Concile des Grands Rabbinat et le Conseil des Communautés. Le Haut Tribunal Rabbinique a le devoir de dissiper l'équivoque qui plane sur presque tous les esprits au sujet de la Tsedaka, en convoquant un Concile des Grands Rabbins lequel, après examen de la question du peint de vue religieux et compte tenu de la situation précédemment décrite, proclamera ;
1) que la Tsedaka est une obligation de la Thora et non une simple imposition volontaire ;
2) que le Comité de Communauté joue dans chaque localité le rôle dévolu par la législation aux « Gabbao Tsedaka » ;
3) que les Codes qui nous régissent prévoient, dans certains cas, des sanctions contre ceux qui refusent de contribuer à la classe des pauvres, c'est-à-dire aux dépenses communales.
Le Concile précisera ensuite que la nouvelle contribution supprimera et remplacera la contribution volontaire semestrielle de Chaloch Reghalim,
II affirmera, par la même occasion, le maintien des taxes cacher (viande, vin, mania), on raison de leur apport massif et indispensable à la caisse des pauvres.
Une fois que le Concile des Grands Rabbins aura rendu compte de ses décisions, lesquelles, on le sait, ont force, de loi à l'égard de nos coreligionnaires et des Autorités du Protectorat, le Conseil des Communauté devra se réunir spécialement pour préparer une nouvelle réglementation et aviser aux mesures à prendre en vue de son application uniforme dans l'ensemble du Maroc français, à une date suffisamment éloignée pour permettre d'assurer la publicité nécessaire.
Le Conseil des Communautés est composé de personnalités de premier plan, ayant une longue expérience des choses du Maroc et dont l'intégrité est au-dessus de tout éloge. Je suis persuadé qu'il s'acquittera avec beaucoup de tact de cette tâche délicate. Je me permettrai, cependant, de lui suggérer d'interpréter les décisions du Concile dans l'esprit le plus large, de façon à ce que la contribution obligatoire n'apporte à nos coreligionnaires aucune gêne, si minime fut-elle et qu'elle soit accueillie avec sympathie ; elle devrait se distinguer de Uv traditionnelle Nedaba de Chaloch Reghalim par son système applicable à tous sans exception ainsi que par sa quotité beaucoup plus substantielle. Nos coreligionnaires accompliront ainsi avec empressement un devoir qu'ils ont jusqu'à présent considéré comme une simple action volontaire.
Casablanca, le 22 juin 1950.